27/07/2010

Flashforward / Robert James Sawyer

Il est fort probable que le titre de cet ouvrage – et la couverture aussi tant qu'on y est – vous fasse penser à la série du même nom. Oui remarquez, c'est normal. C'est en effet le livre qui a poussé les scénaristes à adapter le roman de Robert J. Sawyer... en prenant son lot de libertés au passage et en façonnant le tout pour lui donner un format à même de séduire les producteurs et les spectateurs. Entendez par là que les personnages n'ont plus rien à voir avec ceux du livre et que l'action se focalise essentiellement aux Etats-Unis. Comme je passe très peu de temps devant les écrans, je comprends néanmoins aisément pourquoi les gars de la télé se sont emparés d'une telle histoire : le postulat de départ est captivant mais, plus encore, il est la base même d'une multitude d'histoires à raconter.

Je ne vais de toute façon pas vous parler de la série, je ne l'ai pas vue, et j'ai semblerait-il bien fait puisqu'elle a eu un effet flop complet. Enfin presque total. Suffisamment gratiné en tout cas pour ne pas remettre le couvert pour une saison supplémentaire.

Bref, il est tout de même temps pour moi de vous raconter l'histoire parce que mes nouveaux luminocapteurs lacrymologiques (une merveille ces petites bêtes!) m'indiquent que certains lecteurs de ce blog n'ont jamais entendu parler ni de la série, ni du livre. En avril 2009, au sein du CERN, l'organisation européenne pour la recherche nucléaire, une équipe de scientifiques menée par Lloyd Slimcoe et son associé Theo Procopides, procèdent aux derniers préparatifs de leur expérience dont le but avoué est de détecter le boson de Higgs. Ne me demandez pas de vous expliquer dans le détail ce que c'est, mais en gros, si j'ai bien compris, c'est un transfert de masse des particules consistant à recréer les conditions du Big Bang, sans le provoquer stricto sensu, cela va de soi. En très très gros, c'est une salade de particules malaxées en tous sens et, dans tous les cas, si le résultat est concluant, les conséquences pour la science seraient de l'ordre du révolutionnaire.

Seulement l'expérience ne se déroule pas du tout comme prévu. Pour des raisons qui restent encore à déterminer tous les humains se sont endormis instantanément dès la fin du compte-à-rebours. Mais plus qu'un simple sommeil, la plupart d'entre eux ont eu accès à une fenêtre de 1 minute quarante trois secondes sur leur futur, vingt et un an plus tard. A leur réveil, cependant, le monde est sens dessus dessous. Cette coupure momentanée n'a pas été sans conséquences et les décès sont nombreux : accidents de voiture, d'avions, chutes, incendies, opérations chirurgicales délicates interrompues... en plus des questions existentielles et les désordres personnels suscités par les visions, le monde doit se reconstruire, panser ses plaies.

Casse-gueule comme histoire, non ? Parce que c'est joli comme ça sur le papier, mais mine de rien l'auteur doit rendre tout ça crédible, maîtriser l'ensemble des implications de son scénario tout en s'attachant à ses personnages, à les faire évoluer au milieu d'un monde soumis au désordre le plus total. Du point de vue des répercussions de la catastrophe tant au niveau psychique que matériel, Robert J. Sawyer ne s'en sort vraiment pas trop mal. Il maîtrise l'environnement de son histoire et parvient à lui donner une tonalité assez plaisante. En revanche, il n'en est pas de même pour ce qui est des questions engendrées par les visions, sur les possibilités de chacun d'altérer le cours de son histoire et de l'Histoire en général. Libre arbitre ? Pas de libre arbitre ? Tout est-il tracé d'avance ? La ligne du futur est-elle aussi immuable que celle du passé ? Toutes ces questions n'ont rien de bien originales, soit, elles restent de l'ordre du connu et ne datent pas d'hier mais elles n'ont rien perdu de leur intérêt. Ce qui m'a gêné dans leur approche,et qui a, par la même occasion, altéré mon plaisir de lecture, c'est le contexte dans lequel les personnages se les posent. Prenez Lloyd Simcoe, par exemple. Suite à sa vision il n'a de cesse de se demander s'il doit se marier ou non avec sa compagne du moment et c'est pratiquement là sa seule préoccupation. Un peu léger au regard de la catastrophe sans précédent dont il semblerait qu'il soit à l'origine avec son expérience, non ?

D'autres éléments de la sorte, des aspects un peu invraisemblables, font perdre du crédit au récit, comme par exemple cette femme à qui il tarde presque de retourner travailler sur le site du CERN alors qu'elle vient de découvrir le corps sans vie de son enfant. Pour le moins surprenant.

Même la pointe de mystère planant autour de l'assistant de Slimcoe, Theo Procopides, n'est pas parvenue à m'intéresser véritablement. Lui n'a pas eu de vision ce qui laisse entendre qu'il sera mort d'ici 21 ans et grâce à divers témoignages rapportés par des tierces personnes, il met tout en œuvre pour découvrir les raisons de sa disparition et modifier le cours de son existence.

C'est finalement, je crois, la superficialité des personnages qui dessert ce livre, qui empêche d'y adhérer totalement. C'est d'ailleurs bien dommage parce que pour le reste, comme je l'ai dit, le potentiel de l'histoire est énorme, les trouvailles sont là, les détails aussi et les questionnements qu'il soulève sur nos choix, sur la marche du temps et la manière dont on l'appréhende sont tout à fait intéressants. Flashforward aurait pu être un très bon livre, il n'en est qu'un ersatz.

Peut-être aurez-vous un tout autre aperçu de ce roman, qui sait, avec Brize qui a mis sa chronique en ligne en même temps que moi (c'est pas beau ça, hein ?). Et comme je ne sais pas ce qu'elle en a pensé ne m'en veuillez pas si je déserte momentanément ce blog pour aller voir ça de plus près....

Flashforward, Robert J. Sawyer, traduit de l'américain par Thierry Arson, Milady, 384 p.
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20/07/2010

Les Naufragés de l'entropie. 2, Les Manuscrits de Kinnereth / Frédéric Delmeulle

Voici donc la suite très attendue de La Parallèle Vertov. Enfin, quand je parle de suite, ce n'est pas tout à fait exact. Comme l'avait en effet annoncé Frédéric Delmeulle dans plusieurs interviews consacrées à son travail en général et au premier opus des Naufragés de l'entropie en particulier, il n'est pas nécessaire d'avoir lu ce dernier pour apprécier Les Manuscrits de Kinnereth. Mieux, les lire dans le désordre ne risque en rien d'entacher le plaisir que l'on peut en retirer, et il faut d'ailleurs voir dans cet aspect l'un des - nombreux – attraits de cette série. Une série qu'on aurait d'ailleurs envie de voir se prolonger un bon moment, surtout si Frédéric Delmeulle parvient à maintenir ce niveau de qualité, cette virtuosité dans l'art de jouer avec le lecteur et de l'emmener vers des sentiers loin d'être battus et rebattus, malgré les premières apparences, quand bien même, c'est bien connu et tout à fait justifié ici, il faut s'en méfier.
Avec cette histoire de manuscrit retrouvé en d'étranges circonstances et signé de la main d'un proche de Jésus, un de ces manuscrits à même de faire trembler jusqu'aux fondations de l'Eglise Catholique, le premier réflexe est de se dire : «Et voilà, c'est reparti pour une Da Vinci connerie! ». Sauf que d'entrée de jeu – il joue, je vous dis, il joue – l'auteur nous rassure sur ce point.
Je crois que plus personne n'oserait raconter ce genre de choses aujourd'hui. Les temps ne sont plus au Da Vinci Code, Dieu merci!
Ouf !
Ensuite, lorsque les heureux protagonistes de cette folle aventure - dans laquelle figurent au casting le père de Child Cachoudas, évaporé dans le temps, l'ancienne compagne de ce dernier, sa fille, un groupe de rockeurs sexagénaires ainsi qu'un fonctionnaire de L'ONU – font route ensemble pour tenter de remonter la piste du cher disparu et se retrouvent grâce au sous-marin Vertov pour assister à la crucifixion de Jésus, on se dit une nouvelle chose, à savoir que l'on va avoir droit à une version revisitée de Voici l'homme de Moorcock, où le voyageur temporel n'endosse rien de moins que l'habit et la personnalité de Jésus. Ben tiens!
Cependant, c'est dans un tout autre périple que nous emmène Frédéric Delmeulle, fait celui-ci du matériau de l'Histoire, de l'Humain, de la Religion et des croyances qui lui sont inhérentes. C'est un voyage à la saveur particulière, appréciable, où tous les éléments qui le constituent sont à leur place, imbriqués les uns dans les autres, infiltrés dans et par les éléments de la Parallèle Vertov pour constituer, tout compte fait, un ouvrage original à mille lieux des sentiers battus et rebattus dont je parlais plus haut. Le tout servi indéniablement par l'humour, la finesse, l'érudition, et le plaisir du jeu, de l'écriture.
Et pour ne rien oublier, il convient de parler du final parce que des comme ça, où on ne s'appuie pas cette fois-ci sur d'autres références, où on se laisse prendre par le vertige des révélations, où l'on mesure la dimension réelle du bouquin, alliant divertissement et réflexion, des finals comme ça, je vous dis, on n'en voit pas tous les jours. Alors on savoure... en attendant une prochaine pépite.
Les Manuscrits de Kinnereth / Frédéric Delmeulle.- éditions Mnémos (Dédales), 286 p.
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