24/11/2012

Spin / Robert Charles Wilson

Ce ne sont que des mômes quand les étoiles disparaissent un soir d'octobre, subitement, sans même un signe avant-coureur. Tyler Dupree, Diane et Jason Lawton ont assisté à l'événement, prenant tout à coup conscience que quelque chose d'irrémédiable venait de se produire, que leur vie, le reste de leur vie allait s'en trouver chamboulée. Qu'elle n'aurait pas été la même sans le Spin. C'est ainsi qu'on a baptisé le phénomène, ce filtre, cette barrière, cette membrane coupant la planète du reste de l'univers où le temps s'écoule vertigineusement plus vite, le faisant vieillir au point de laisser l'humanité dans l'expectative d'une fin du monde annoncée. A moins que le Spin ne soit justement là pour la sauver, quand bien même l'intention des Hypothétiques à qui on l'a imputé sans rien savoir d'eux, reste irrémédiablement floue.

En 2007, lorsque je conseillais le livre dans la librairie où je travaillais, je disais ceci : « vous pouvez y aller c'est le meilleur livre de science-fiction des dix dernières années. » Sans mentir, sans pousser à la vente. Ce livre là, j'ai même convaincu des personnes réfractaires au genre de le lire, et quelques-uns sont revenus me signaler combien ils l'avaient apprécié. La force de Spin est là, dans son accessibilité, dans une narration n'excluant jamais personne, malgré les concepts scientifiques abordés ici ou là. La raison est simple en définitive et elle tient en un seul mot : l'humanité. L'humanité dont fait preuve Robert Charles Wilson et qui se reflète à travers ses personnages, leurs aspirations, leurs préoccupations les plus communes jusqu'à leurs craintes existentielles, mais aussi dans les liens qui les unissent, les font s'éloigner, se rapprocher. Confrontés à l'impensable, tiraillés dans leurs certitudes et dans leurs croyances, ils s'évertuent à vivre malgré tout sous le prisme d'une réalité peut-être illusoire.

Il y a cela et bien plus encore dans Spin. Car Robert Charles Wilson, fort de cette accessibilité, va aussi loin, très loin dans l'innovation créatrice. Certes, en lisant le résumé de l'histoire, on ne peut que penser à celui du Voile de l'espace de Robert Reed, mais l'ensemble des aspects scientifiques abordés dans Spin m'ont paru vraiment originales au point de servir l'histoire à un degré incroyable. Qu'il s'agisse de la membrane Spin à proprement parler, du temps favorisant le vieillissement de l'univers et confrontant l'humanité à une fin du monde anticipée, de la possibilité inhérente au phénomène de terraformer Mars, de récolter les fruits de celle-ci à travers la rencontre d'un Troisième type (!), des répliquants, ces organismes capables de se reproduire, de s'étendre, de communiquer entre eux et de ramener des informations issus des confins de l'univers, il y a à travers l'ensemble de ces éléments une bien belle matière à raconter une histoire riche, prenante, passionnante. Et touchante aussi car Robert Charles Wilson ne s'écarte jamais de ses personnages, il en fait le matériau vivant autour desquels tout s'articule. Bien que le récit courre sur des décennies, et bien plus encore selon de quel côté de la membrane on se situe, il ne déborde jamais de son cadre, ne s'autorise aucune pirouette, aucune facilité, ne laisse aucune zone d'ombre si ce n'est sur la nature même des Hypothétiques. Concernant ce dernier point, rien d'étonnant. Les deux volumes qui suivent, Axis et Vortex, devraient apporter des éléments de réponse. On y reviendra sous peu.

Relire un livre que l'on a particulièrement apprécié implique une possible déception. Il n'en est rien avec Spin. L'émerveillement est toujours là, jusqu'au bout, jusque dans les présomptions et l'expectative quant à ce qu'on va trouver de l'autre côté, aux confins des étoiles... Depuis 2007, rien n'a chang...ah si tout de même : je ne vends plus de livres, je les prête. Et je peux maintenant dire que Spin est le meilleur livre de science-fiction des... quinze dernières années. Là encore, sans mentir. 

Spin de Robert Charles Wilson, traduit de l'anglais (Canada) par Gilles Goullet, Denoël (Lunes d'Encre), 2007, 560 p. Disponible aussi chez Folio SF, 624 p.

CITRIQ

07/11/2012

Avant de partir !

Je ne pouvais pas m'envol... prendre le train pour les Utopiales, Festival incontournable de science-fiction, sans prendre le temps de vous parler de deux livres qui ont tous deux eu un effet certain sur ma personne. J'ai pris une gifle avec le premier, et j'ai comme qui dirait tendu l'autre joue pour le second. A la réflexion, cette image là ne sied pas à un super-héros, aussi vous dirais-je donc plus exactement que, de ces lectures, j'en suis resté sur les fesses comme après avoir reçu une rafale ectoplasmique à ondes réfractalement hostiles. Dans les deux cas, l'équilibre est rétabli, merci.

On commence avec le premier dans l'ordre d'apparition derrière le masque  : Rendez-vous au 10 avril, signé Benoît Séverac. Vous pouvez toujours aller chercher ce livre sur les étagères de votre librairie préférée, je doute que vous le trouviez (hormis peut-être si vous habitez Toulouse, mais il s'agira là d'un cas particulier sur lequel je vais revenir). On connaît la rotation infernale des livres sur les présentoirs, on ne va pas refaire l'histoire. Si Benoît Séverac est connu du monde du polar, il ne l'est pas encore complètement du grand public, et c'est regrettable. Quant à la maison d'édition, tme, basée à Toulouse où se situe l'action du livre (j'y suis revenu plus vite que prévu tout compte fait), elle ne l'est pas du tout.

J'ai fait l'acquisition de Rendez-vous au 10 avril au Festival de polar de Villeneuve lesAvignon, en 2011, où l'auteur était présent. Près d'un an plus tard, je me décide enfin à le lire. L'envie était là de me frotter à un roman noir situant son action au lendemain de la première guerre mondiale. Et trouver un passage du Témoin oculaire de Ernst Weiss en préambule du livre, a été une passerelle plus qu'encourageante (à lire, lire, et relire !).

Un inspecteur de police, vétéran de la guerre, est confronté à deux décès aux apparences trompeuses survenus dans la nuit : le suicide d'un professeur de l'école vétérinaire de Toulouse et la mort d'un notable de la ville. Si l'enquête se révèle assez classique dans son traitement et bénéficie de quelques heureuses coïncidences, la part belle est ici donnée au narrateur de l'histoire, lequel porte en lui les stigmates de la guerre mais aussi le poids d'un secret qu'il a bien pris soin d'enfouir à fortes doses d'alcools et de morphine. Son état n'est pas sans embarrasser sa hiérarchie, sans gêner non plus certaines personnes qu'il est amené à rencontrer au cours de ses enquêtes. Tous les soirs, au lieu de rentrer chez lui, il trouve un semblant de réconfort dans une maison close, où la tenancière l'autorise à dormir. Ses seuls moments de répit sont là, dans ces maigres heures volées aux images qui l'assaillent : souvenirs de guerre ou passants dans la rue le renvoyant à un passé révolu à jamais. Cet homme, dans son désespoir, sa ruine, sa douleur, Benoït Séverac a su le rendre authentique jusqu'au final sidérant de cette histoire. Le tout servi par une belle écriture.

L'écriture. On ne peut pas ne pas l'évoquer en ce qui concerne Un petit jouet mécanique de Marie Neuser. C'est en tout cas un des aspects du livre qui retient immédiatement l'attention. Elle est là, comme cette petite musique à laquelle fait référence l'auteur dans le livre : « Quoi que tu aies envie d'écrire, tu dois trouver ta petite musique. Trouve-la et suis-la. Et elle te fera aller au plus près de la vérité. ». Elle est là, donc, et emporte irrémédiablement le lecteur dans les filets de son histoire, dont, désolé pour le cliché, on ne ressort pas indemne (mince, je viens de me rendre compte que ce sont les termes exacts de la quatrième de couverture... mais comme c'est exactement ça, on ne va rien changer aux mots !)

Après bien des années, Anna revient en Corse, à Acquargento, demeure où ses parents passaient leurs vacances avec elle. Elle se rappelle son dernier été passé là-bas, lorsqu'elle avait seize ans. L'été où sa sœur, Hélène, est tout à coup réapparue sur leur lieu de villégiature, bébé au bras. Étrangères de cœur, étrangères en tous points, les deux filles ne s'apprécient guère. Les douze années qui les séparent n'ont sans doute rien arrangé. Et si l'arrivée de la jeune femme et de son enfant chamboulent au début le quotidien des uns et des autres, les jours filent pourtant, semblables, chacun vaquant à ses occupations. Anna écoute de la musique, peint, écrit, se rend à la plage, se nourrit de son ras-le bol d'être ici et pas ailleurs, se nourrit aussi de sa solitude quand elle ne joue pas avec le bébé. Pourtant à mesure que les jours passent, Anna en vient à s'interroger sur le comportement de sa sœur à l'égard de son enfant.

L'été, le quotidien transfiguré petit à petit, le malaise prégnant sans qu'on puisse clairement en identifier la nature, ou même l'apaiser. C'est en cela, dans sa faculté à générer cette impression que l'écriture de Marie Neuser est redoutable. Les mots, leur sens et ce qu'ils génèrent deviennent purement indissociables. La « petite distillation progressive », évoquée dans le roman, est en marche. Que ce soit le glissement d'Anna dans son approche de l'âge adulte ou dans les événements qui se nouent. Les phrases effleurent, s'inscrivent dans le cerveau comme un sillon qui passe et repasse, gravent sournoisement mais implacablement la monstruosité d'un instant, d'une période de la vie où la normalité n'a plus sa place. A moins bien sûr qu'elle ne soit constitutive d'un tout, drame compris. 

Et ces mots là - on en revient à eux - vous touchent d'autant plus, vous lecteur, lorsqu'Anna raconte son histoire à la deuxième personne du pluriel. Une manière de prendre de la distance face aux événements, dont le temps n'a en rien altéré la douleur.

Tout est à sa place dans ce roman. Il n'y a rien à enlever, rien à rajouter. Juste à se laisser prendre, se laisser aller au doute, à l'amertume et à l'espoir aussi.

J'ai du mal à lâcher le clavier parce que je voudrais dire encore bien des choses pour vous inciter à le lire ce bouquin, mais il faut quand même vous laisser le "plaisir" de la découverte.

Enfin, si vous ne savez pas quoi lire en ce moment, hein...

Moi, ce que j'en dis...

Ah si, tout de même, il est utile de le préciser : Un petit jouet mécanique est apparemment le deuxième livre de Marie Neuser, je vais donc m'empresser de me procurer le premier, Je tue les enfants français dans les jardins.

Bon allez. Je vous laisse, j'ai mes valises à préparer. Direction le futur. Suis pas sûr que ce soit moins noir...

Rendez-vous au 10 avril, de Benoît Séverac, éditions tme (noire d'Histoire), 316 p.
Un petit jouet mécanique, de Marie Neuser, L'écailler (Polar & Noir), 157 p.

01/11/2012

Le Temps du rêve / Norman Spinrad

Si tant est qu'on en doute, on ne peut pas apprécier tous les livres d'un auteur. Alors autant ne pas y aller par quatre chemins, Le Temps du Rêve m'a terriblement ennuyé. La question est maintenant de savoir pourquoi et de ne pas se cacher derrière cette simple affirmation.


Le pitch était pourtant prometteur. J'ai pour habitude de résumer ici-même les histoires à ma sauce mais Le Temps du rêve est si particulier que je préfère, pour une fois, laisser la place à la quatrième de couverture :







BIENVENUE DANS LE TEMPS DE VOTRE RÊVE !

GRÂCE AU DREAMMASTERTM VIVEZ LA VIE DONT VOUS AVEZ TOUJOURS RÊVÉ...

>Sélectionnez le scénario de votre choix, fermez les yeux et laissez-vous guider.
>Une aventure dont vous êtes le héros, aux côtés de vos stars et icônes préférées !
>Le Temps de votre rêveTM vous offrira des sensations inédites. Vous vous changerez en aigle, en condor, en prince, en déesse, en explorateur, en virus...

>TARIF ATTRACTIF<
Contrôle parental exigé



Voilà de quoi donner envie de se plonger dans le livre, de savoir à quelle sauce Norman Spinrad va une fois de plus appuyer de manière bien sentie sur les dangers de notre société moderne, là ou ça fait mal, sans doute parce que nous sommes tous acteurs, de manière consciente ou non, d'une vérité pas toujours évidente à entendre.

"De nos jours, pour aller de n'importe où à n'importe où ailleurs, il faut traverser de longues étendues de nulle part, ce que quiconque croyant être quelqu'un fait tout pour éviter. La civilisation peut-être définie comme la distance entre ceux qui s'estiment civilisés et ceux qui doivent faire le sale boulot, mais elle ne paraît jamais assez grande, n'est-ce pas Princesse ?"

Et ,en l'occurrence, Norman Spinrad, pour mettre en garde – à moins qu'il ne soit trop tard – sur le contrôle des masses, passe donc par la voie des Rêves, impliquant directement le lecteur en utilisant le « tu ». Là encore, pourquoi pas, mais c'est dans le traitement du récit onirique que je n'ai pas pu adhérer à ce texte, relativement court, et pourtant trop long. Trop long parce que trop descriptif et chargé de séquences abruptes, parfois délirantes, presque toujours sans queue ni tête. Comme peuvent l'être les rêves, j'en conviens et je serais même enclin à dire que Norman Spinrad a réussi un tour de force en les rendant si... réels.

"Ce qui est réel, est réel..."

Mais de la même manière que je suis réfractaire au théâtre de l'absurde, je ne suis pas parvenu ici à coller aux expressions oniriques auxquelles j'étais pourtant invité à être le héros, avant d'en être le spectateur critique. Et de fait, tout ce sur quoi ce texte invitait à la réflexion (l'évolution, le sens du réel, l'uniformisation...) m'est un peu passé au-dessus de la tête, et je ne manque pas de le regretter.

Qu'à cela ne tienne, ça ne m'empêchera pas de lire ou de relire Norman Spinrad dont LePrintemps russe, Jack Barron et l'éternité, Les Années fléaux et Il est parmi nous, font partie des œuvres qui comptent indéniablement... en attendant le prochain.

D'autres avisplus éclairés que le mien par ci chez Le Traqueur Stellaire et chez Bad Chili

CITRIQ

Le Temps du Rêve, de Norman Spinrad, traduit de l'américain par Sylvie Denis et Roland C. Wagner, Fayard, 2012, 222p.