07/11/2012

Avant de partir !

Je ne pouvais pas m'envol... prendre le train pour les Utopiales, Festival incontournable de science-fiction, sans prendre le temps de vous parler de deux livres qui ont tous deux eu un effet certain sur ma personne. J'ai pris une gifle avec le premier, et j'ai comme qui dirait tendu l'autre joue pour le second. A la réflexion, cette image là ne sied pas à un super-héros, aussi vous dirais-je donc plus exactement que, de ces lectures, j'en suis resté sur les fesses comme après avoir reçu une rafale ectoplasmique à ondes réfractalement hostiles. Dans les deux cas, l'équilibre est rétabli, merci.

On commence avec le premier dans l'ordre d'apparition derrière le masque  : Rendez-vous au 10 avril, signé Benoît Séverac. Vous pouvez toujours aller chercher ce livre sur les étagères de votre librairie préférée, je doute que vous le trouviez (hormis peut-être si vous habitez Toulouse, mais il s'agira là d'un cas particulier sur lequel je vais revenir). On connaît la rotation infernale des livres sur les présentoirs, on ne va pas refaire l'histoire. Si Benoît Séverac est connu du monde du polar, il ne l'est pas encore complètement du grand public, et c'est regrettable. Quant à la maison d'édition, tme, basée à Toulouse où se situe l'action du livre (j'y suis revenu plus vite que prévu tout compte fait), elle ne l'est pas du tout.

J'ai fait l'acquisition de Rendez-vous au 10 avril au Festival de polar de Villeneuve lesAvignon, en 2011, où l'auteur était présent. Près d'un an plus tard, je me décide enfin à le lire. L'envie était là de me frotter à un roman noir situant son action au lendemain de la première guerre mondiale. Et trouver un passage du Témoin oculaire de Ernst Weiss en préambule du livre, a été une passerelle plus qu'encourageante (à lire, lire, et relire !).

Un inspecteur de police, vétéran de la guerre, est confronté à deux décès aux apparences trompeuses survenus dans la nuit : le suicide d'un professeur de l'école vétérinaire de Toulouse et la mort d'un notable de la ville. Si l'enquête se révèle assez classique dans son traitement et bénéficie de quelques heureuses coïncidences, la part belle est ici donnée au narrateur de l'histoire, lequel porte en lui les stigmates de la guerre mais aussi le poids d'un secret qu'il a bien pris soin d'enfouir à fortes doses d'alcools et de morphine. Son état n'est pas sans embarrasser sa hiérarchie, sans gêner non plus certaines personnes qu'il est amené à rencontrer au cours de ses enquêtes. Tous les soirs, au lieu de rentrer chez lui, il trouve un semblant de réconfort dans une maison close, où la tenancière l'autorise à dormir. Ses seuls moments de répit sont là, dans ces maigres heures volées aux images qui l'assaillent : souvenirs de guerre ou passants dans la rue le renvoyant à un passé révolu à jamais. Cet homme, dans son désespoir, sa ruine, sa douleur, Benoït Séverac a su le rendre authentique jusqu'au final sidérant de cette histoire. Le tout servi par une belle écriture.

L'écriture. On ne peut pas ne pas l'évoquer en ce qui concerne Un petit jouet mécanique de Marie Neuser. C'est en tout cas un des aspects du livre qui retient immédiatement l'attention. Elle est là, comme cette petite musique à laquelle fait référence l'auteur dans le livre : « Quoi que tu aies envie d'écrire, tu dois trouver ta petite musique. Trouve-la et suis-la. Et elle te fera aller au plus près de la vérité. ». Elle est là, donc, et emporte irrémédiablement le lecteur dans les filets de son histoire, dont, désolé pour le cliché, on ne ressort pas indemne (mince, je viens de me rendre compte que ce sont les termes exacts de la quatrième de couverture... mais comme c'est exactement ça, on ne va rien changer aux mots !)

Après bien des années, Anna revient en Corse, à Acquargento, demeure où ses parents passaient leurs vacances avec elle. Elle se rappelle son dernier été passé là-bas, lorsqu'elle avait seize ans. L'été où sa sœur, Hélène, est tout à coup réapparue sur leur lieu de villégiature, bébé au bras. Étrangères de cœur, étrangères en tous points, les deux filles ne s'apprécient guère. Les douze années qui les séparent n'ont sans doute rien arrangé. Et si l'arrivée de la jeune femme et de son enfant chamboulent au début le quotidien des uns et des autres, les jours filent pourtant, semblables, chacun vaquant à ses occupations. Anna écoute de la musique, peint, écrit, se rend à la plage, se nourrit de son ras-le bol d'être ici et pas ailleurs, se nourrit aussi de sa solitude quand elle ne joue pas avec le bébé. Pourtant à mesure que les jours passent, Anna en vient à s'interroger sur le comportement de sa sœur à l'égard de son enfant.

L'été, le quotidien transfiguré petit à petit, le malaise prégnant sans qu'on puisse clairement en identifier la nature, ou même l'apaiser. C'est en cela, dans sa faculté à générer cette impression que l'écriture de Marie Neuser est redoutable. Les mots, leur sens et ce qu'ils génèrent deviennent purement indissociables. La « petite distillation progressive », évoquée dans le roman, est en marche. Que ce soit le glissement d'Anna dans son approche de l'âge adulte ou dans les événements qui se nouent. Les phrases effleurent, s'inscrivent dans le cerveau comme un sillon qui passe et repasse, gravent sournoisement mais implacablement la monstruosité d'un instant, d'une période de la vie où la normalité n'a plus sa place. A moins bien sûr qu'elle ne soit constitutive d'un tout, drame compris. 

Et ces mots là - on en revient à eux - vous touchent d'autant plus, vous lecteur, lorsqu'Anna raconte son histoire à la deuxième personne du pluriel. Une manière de prendre de la distance face aux événements, dont le temps n'a en rien altéré la douleur.

Tout est à sa place dans ce roman. Il n'y a rien à enlever, rien à rajouter. Juste à se laisser prendre, se laisser aller au doute, à l'amertume et à l'espoir aussi.

J'ai du mal à lâcher le clavier parce que je voudrais dire encore bien des choses pour vous inciter à le lire ce bouquin, mais il faut quand même vous laisser le "plaisir" de la découverte.

Enfin, si vous ne savez pas quoi lire en ce moment, hein...

Moi, ce que j'en dis...

Ah si, tout de même, il est utile de le préciser : Un petit jouet mécanique est apparemment le deuxième livre de Marie Neuser, je vais donc m'empresser de me procurer le premier, Je tue les enfants français dans les jardins.

Bon allez. Je vous laisse, j'ai mes valises à préparer. Direction le futur. Suis pas sûr que ce soit moins noir...

Rendez-vous au 10 avril, de Benoît Séverac, éditions tme (noire d'Histoire), 316 p.
Un petit jouet mécanique, de Marie Neuser, L'écailler (Polar & Noir), 157 p.

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