22/06/2013

Qui ? / Jacques Expert

Qui ? La question est posée. J'allais dire qu'elle ne quitterait pas le lecteur de la première à la dernière ligne mais en réalité ça peut ne pas être le cas. Car personnellement, cette interrogation m'a assez vite parue superflue. Pourquoi ? On va se pencher sur cette autre question.

Qui ? C'est l'histoire d'un meurtre survenu en 1994 à Carpentras, dans le lotissement du Grand Chêne. Le meurtre d'une enfant, assassinée et violée. Jamais résolue, l'affaire a beaucoup fait parler d'elle. Dix-neuf ans plus tard, une émission télévisée revient sur les faits, remet en perspective le déroulement de l'enquête, ses rebondissements. Le soir de sa diffusion, quatre hommes la regardent, en compagnie de leur épouse. Quatre hommes parmi lesquels figure l'assassin.

Ceux d'entre vous qui auront déjà lu Jacques Expert savent l'attention toute particulière qu'il apporte à la construction de ses histoires. Il les peaufine, les soigne dans le seul but de surprendre le lecteur, de déjouer les certitudes qu'il peut avoir. Adieu en est sans doute l'exemple le plus révélateur. Le problème avec Qui ? vient paradoxalement de cette attention portée à la construction du récit. En invitant ouvertement le lecteur à devenir l'enquêteur de l'histoire, Jacques Expert a trop verrouillé son récit. Derrière chaque indice disséminé à travers la voix d'un des suspects, on devine sa volonté d'ouvrir des pistes, lesquelles se referment presque aussitôt lorsque la focalisation se fait sur un autre assassin potentiel.

La faute en incombe peut-être à l'approche du récit. On prend en effet connaissance de l'environnement de l'assassin dès sa prise de parole dès le prologue : marié, père de deux enfants, fille et garçon, il trouve une certaines quiétude dans le jardinage. Les quatre hommes auront les mêmes caractéristiques. Au fil des pages, le profil du tueur va s'étoffer et chaque fois, chaque fois, les éléments qui le constituent pourront s'appliquer à chacun des suspects. Ceux-ci semblent tous identiques, presque indissociables. Si bien qu'au final, l'identité du meurtrier enfin révélée ne surprend guère, quand bien même toute la construction du récit s'articulait autour de sa divulgation. L'intérêt s'est émoussé au fil de la lecture. Dommage, mais que ça ne vous empêche pas pour autant de lire les autres livres de l'auteur.

Qui ?, de Jacques Expert, Sonatine, 2013, 350 p.

11/06/2013

Tir groupé


Beaucoup de lectures en ce moment sans pourvoir trouver un moment pour en parler. On répare tout ça dans la minute. Vous verrez il y en aura pour tous les goûts, du récent au moins récent – le mot d'ordre dans ce petit coin de web étant toujours de suivre les envies de lecture, et si celles-ci s'avèrent fluctuantes, tant mieux ! Dans tous les cas, j'espère que cela donnera un éclairage suffisant pour vous donner envie de les lire.

On commence avec Gurvan, de Paul-Jean Hérault. Ma lecture de Cal de Ter, du même auteur n'est certainement pas étrangère au fait que je me suis plongé dans ce livre. Le Space Opera reste l'un de mes genres de prédilection de la Science-Fiction – avec les histoires de voyage dans le temps, comme je le soulignais il y a peu et avec Gurvan, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en matière de batailles spatiales et de réflexion subséquente aux guerres, on est servi.

Dans un conflit dont tous les protagonistes ont semble-t-il oublié l'origine, Gurvan officie comme pilote de vaisseau. Issu d'un Matérédu, sorte de centre d'élevage d'humains destinés à servir de chair à laser, il n'a rien connu d'autre que la guerre. Il sait ses jours comptés et il accepte docilement le sort inéluctable qui lui est réservé. Les statistiques parlent d'elles-mêmes : la durée moyenne de survie d'un soldat est de 61 missions.

Dans cette intégrale regroupant trois titres parus en 1987 et 1988 dans la célèbre collection « Anticipation » au Fleuve noir (Sergent-pilote Gurvan ; Gurvan : les premières victoires ; Officier-pilote Gurvan), j'ai donc effectivement retrouvé toutes les qualités – et quelques menus défauts - déjà soulevés dans Cal de Ter. On passe donc très vite sur l'historiette d'amour un tantinet mièvre ainsi que sur l'aspect un peu daté qui affleure parfois au détour d'une expression... pour nous attarder sur ce qui finalement, rend ce livre vraiment prenant, au point même qu'il sera bon de continuer l'aventure avec d'autres protagonistes évoluant dans le même univers dans le Bricolo. Le style de Paul-Jean Hérault est efficace, limpide, ça coule tout seul aurait-on envie de dire, et en bon amateur de Galactica, voire même Battlestar Galactica, on se plaît à suivre les scènes de batailles spatiales habilement décrites, à faire corps avec l'escadre de Gurvan. Et au-delà de cet aspect purement esthétique, on ne peut que reconnaître l'efficacité de l'approche de l'auteur vis à vis du conflit opposant les Terriens à... à qui d'abord ? Très longtemps, le lecteur ne sait effectivement rien de l'origine de la guerre et, hormis les vaisseaux ennemis, ne sait rien non plus de la nature des adversaires de Gurvan. La guerre apparaît alors dans toute son absurdité, quand l'escalade a fait son travail de sape, que méconnaissance de l'autre et aveuglement amènent à tuer pour ne pas être tué. Encore une fois, Paul-Jean Hérault signe du Space Op' comme on aimerait en lire plus souvent...


Autre temps, autre univers, autre bonne surprise (mais en est-ce réellement une ?) avec Bombe X de Ludo Sterman. Je savais que l'auteur travaillait sur un deuxième roman après le remarquable Dernier shoot pour l'enfer. En revanche, je ne savais pas que Julian Milner, son personnage, allait reprendre du service. Grand bien lui fasse même s'il en bave pas mal dans cette affaire baignant une fois de plus dans le sport et ses magouilles...des magouilles que Julian n'a de cesse de dévoiler.

A croire que l'investigation, les Milner ont ça dans le sang, dans les gênes. Le père d'abord, dont Julian sait pourtant si peu, puis son frère, retrouvé comateux sur une aire d'autoroute suite à une agression dont tout porterait à croire qu'elle était préméditée. Julian au fond du trou, pas encore remis du tumulte suscité par l'affaire Novella, en proie au doute, esseulé, décèle assez rapidement que son frère a dû toucher à quelque chose de gros, de très gros, pour qu'on cherche ainsi à le réduire au silence. Il ne se trompe pas. Il va en effet entrer de plein fouet dans les arcanes du dopage dans le cyclisme. Au péril de sa vie, il va dénouer un à un les fils de cet écheveau où petits et grands voyous, mafieux de tous poils, travestissent la beauté d'un sport et les espoirs de jeunes coureurs...

Plus sombre, plus noir que Dernier shoot pour l'enfer, plus incisif aussi, Bombe X fascine. Par l'éclairage apporté sur le dopage – la course ne se jouant plus sur une route mais dans des labos -, sur la complaisance d'un journalisme qui n'hésite pas à fermer les yeux, intérêts communs en jeu, par la tension qui s'en dégage irrémédiablement, mais aussi par l'attention toute particulière faite aux personnages de cette histoire, touchants et exaspérants à la fois, femmes et hommes, seconds rôles ou pas. Le background est là, laisse présager que Julian Milner n'a pas fini sa quête, que la tempête qui couve en lui n'a pas fini de s'exprimer. Je la suivrai de près...

On terminera, assez rapidement il faut dire, avec le dernier Philippe Djian, « Oh... ». Pourquoi rapidement ? Parce que tout a été dit à son propos, ou presque.

« Oh... mon Dieu » ? « Oh...putain » ? On laissera au lecteur le soin de découvrir ce qui se cache derrière ce titre énigmatique que Philippe Djian dévoile – mais le fait-il vraiment ? - en toute fin d'ouvrage. On retrouve ici tout ce qui fait la qualité de ses livres : la finesse de l'écriture et des personnages, faisant preuve une nouvelle fois d'une ambivalence avérée, ni tout blancs, ni tout noirs, pervers, sincères et faillibles. A la différence cette fois-ci que Philippe Djian abandonne le « je » masculin pour un « je » féminin. Il fallait oser s'immiscer ainsi dans la peau d'une femme, d'autant que celle-ci a été victime d'un viol dont elle gère l'impact avec un certain... détachement. Je n'en dirai pas plus, si ce n'est que Djian ne finit pas de surprendre... dans le bon sens du terme.


Gurvan, de Paul-Jean Hérault, Critic, 2012, 455 p.
Bombe X, de Ludo Sterman, Fayard (Fayard noir), 2013, 416 p.
"Oh...", Philippe Djian, Gallimard (Blanche), 2012, 240 p.